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Haïti-République dominicaine, les racines de la haine

Comme un nouveau tournant dans un conflit datant de plus d’un siècle, les dernières vagues de déportations de migrants haïtiens de la République dominicaine vers Haïti et l’augmentation d’Haïtiens morts en terre voisine viennent subitement nous rappeler qu’une haine non éteinte peut réserver les pires surprises. Les exactions dominicaines et leur nettoyage ethnique font rappeler les tensions haitiano-dominicaines du début du 20e siècle.

 

Au début du XXe siècle, Haïti et sa voisine vivaient en harmonie. Des Haïtiens étaient même admiratifs à l’égard du dictateur dominicain Rafael Leónidas Trujillo Molina qui était au commande. Des accords binationaux ont été signés. Mais, depuis les débuts de la grande dépression, le prix du sucre avait flanché sur les marchés internationaux et les travailleurs haïtiens n’étaient plus les bienvenus dans les plantations dominicaines.

 

Le massacre de 1937

Les dominicains protestaient froidement de ce qu’ils appelaient l’haïtianisation progressive de leur région frontalière où s’introduisaient des hordes de paysans haïtiens qu’ils accusaient de n’être rien d’autre que des maraudeurs, des voleurs de bœufs.

Le samedi 2 octobre 1937, le président Rafael Leonidas Trujillo Molina, en tournée officielle dans la petite ville frontalière de Dajabon, déclarait : “ Aux Dominicains qui se plaignent des déprédations de la part des Haïtiens qui vivent parmi eux, je réponds: nous régleront cette affaire! D’ailleurs, nous avons déjà commencé! Environ trois cents Haïtiens ont été tués à Banica. Et nous devons continuer à résoudre ce problème “, rapporte un historien. Ce sont donc en des termes passablement provocateurs que Trujillo annonçait ses intentions, approuvait publiquement, le massacre des Haïtiens.

Les meurtriers ont utilisé des haches, des poignards, des baïonnettes mais surtout des machettes, afin de tromper l’opinion et les éventuels enquêteurs étrangers, en faisant croire qu’il s’agissait d’une tuerie spontanément organisée par des paysans dominicains en révolte contre les voleurs de bœufs haïtiens dont ils n’auraient que trop longtemps toléré les actes de banditisme. Ces assassinats massifs s’étendirent dans toute la région nord de la frontière.

Selon les estimations, le nombre d’Haïtiens violemment assassinés dans les régions frontalières de la République dominicaine durant le massacre de 1937 s’élève à 15 000 personnes environ.

Plus de 85 ans après, cette haine et cette pratique d’anti-Haitianisme interfère dans les relations des deux pays. Avec la montée au pouvoir du président Luis Abinader, les œuvres de Trujillo semblent être reprises. Des cadavres des Haïtiens jonchant le sol dominicain sont découverts à longueur de journée. Pour la plupart, ils sont hachés ou empoisonnés. Ces dernières semaines, ils sont des milliers à être déportés faute de papiers légaux.

Il y a quelques jours, la presse dominicaine a révélé que les autorités comptent faire de la maison de Trujillo un musée. De quoi raviver cette haine inouïe des dominicains envers les Haïtiens.

Le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, Volker Turk, a insisté auprès des autorités de la République dominicaine pour la suspension des renvois forcés des Haïtiens. « Il y a une semaine, j’ai demandé l’arrêt des déportations en Haïti, compte tenu de la crise humanitaire et des droits de l’homme à laquelle le pays est confronté. Je crains de voir les retours forcés des Haïtiens en Haïti depuis la République dominicaine se poursuivent », avait déclaré Turk dans un communiqué.

Selon le haut représentant de l’ONU, Haïti ne réunit pas aujourd’hui les conditions de sécurité appropriées pour le retour « sûr, digne et durable » des migrants compte tenu de la « violence armée incessante et des violations systématiques des droits de l’homme ».

Cette déclaration n’a pas plu au président Luis Abinader qui a demandé à la direction générale des migrations d’intensifier les opérations de déportations d’Haïtiens en République dominicaine.

La semaine dernière, plus de 1500 Haïtiens ont été arrêtés en République Dominicaine dans le District National. Ce chiffre s’est ajouté à plus de 60,000 rapatriements d’étrangers illégaux, pour la plupart des ressortissants haïtiens, depuis l’arrivée de Luis Abinader à la tête de l’institution.

Après plusieurs semaines de déportations et de traitements illégaux, le gouvernement avait finalement réagi pour dénoncer ces pratiques de la République dominicaine, dans un communiqué publié par le Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes. ” Depuis plus d’une semaine, des images bouleversantes et des reportages de presse focalisent l’attention sur les traitements inhumains et dégradants infligés à des compatriotes haïtiens se trouvant en République Dominicaine. L’indignation générale soulevée par cette situation ne saurait laisser indifférent le Gouvernement de la République d’Haïti “, a écrit le gouvernement.

Il dit reconnaître le droit souverain de la République Dominicaine à réguler les flux migratoires à l’intérieur de son territoire en fonction de sa législation et des conventions internationales dûment ratifiées mais l’appelle néanmoins à accorder à ses ressortissants un traitement respectueux de la dignité humaine.

Même après ce communiqué, la donne n’a pas changé. Les autorités dominicaines avaient plutôt répliqué pour soutenir que les Haïtiens utilisent à fort pourcentage tous les services fournis par les autorités dominicaines plus précisément les soins hospitaliers. Le retour à la normale à l’autre bout de la frontière semble ne pas être pour demain.

RPBS

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