Violences sexuelles sur les malades mentaux : Les mythes qui entourent cette pratique haïtienne
La perception du handicap psychosocial (maladie mentale) par un grand nombre de la population haïtienne, demeure une véritable source d’inquiétude, surtout pour ceux qui œuvrent dans le domaine des droits humains. Ayant associé cette déficience à un mauvais sort, les gens qui en sont atteints ne sont pas considérés comme des personnes à part entière, et sont fort souvent victimes de traitements honteux et préjudiciables.
Les handicapées psychosociales, (femmes et filles), qui errent dans les rues de Port-au-Prince, sont exposées à de nombreux dangers parmi lesquels le viol. Les malades de troubles bipolaires ou psychotiques, sont souvent la proie de nombreux prédateurs qui les violent afin d’atteindre l’un de leurs objectifs: avoir de l’argent. Une pratique funeste, liée pour la plupart à la superstition.
Ces mauvaises pratiques sont très répandues en Haïti. Coucher avec des malades mentaux est monnaie courante. Cela se produit assez souvent dans plusieurs quartiers de la capitale d’Haïti et même dans certaines villes de Province.
Se débarrasser d’un mauvais sort, sortir d’une mauvaise situation ou tout simplement pour avoir de la chance dans la vie. Tous les prétextes sont bons pour mettre la main sur ces malades et entretenir avec elles une relation sexuelle.
Maladies mentales et agressions sexuelles
Ces personnes qu’on traite de « moun fou » (personne dérangée), courent de grands dangers. Les femmes, quant à elles, savent se retrouver en pleine ceinture ou peuvent circuler avec un bébé en mains. Dans la majorité des cas, cette situation résulte d’un acte de viol.
« Guerda», vit avec sa famille à caradeux, dans la commune de Tabarre, département de l’Ouest, dans un endroit appelé « Camp Toto ». C’est une ancienne professionnelle qui souffre aujourd’hui de troubles mentaux.
Mère de 4 enfants, son premier-né qui aujourd’hui a 9 ans, est le fruit de son mariage avec celui qui fut son premier amant et qui est tout aussi à la base de sa maladie, selon les explications d’une grande sœur de Guerda.
« Son mari ne l’aimait pas, ils se sont mariés parce qu’elle était tombée enceinte de lui. Ce dernier l’a laissé pour une autre femme et est parti avec leur enfant qui n’avait que 3 ans à l’époque. Guerda a eu un véritable choc, et depuis est devenue dépressive », explique sa sœur tout en continuant à s’occuper du nouveau bébé que Guerda vient d’accoucher.
C’est en effet le 5e enfant dont elle accouche, 4 de ses grossesses sont les résultats d’actes de viol, selon les explications de sa sœur.
« Guerda est souvent victime de viol qui débouche dans la majorité des cas, sur des grossesses. La famille sait procéder à l’avortement, mais, quand c’est trop risqué, on se résigne à garder l’enfant. On prend soin à présent de 3 enfants de Guerda, elle en a perdu un à la naissance », raconte sa sœur.
Elle poursuit : « Ce qui jusqu’ici reste pour nous un vrai dilemme, c’est de ne pas savoir l’identité de tous ceux qui se cachent derrière ses grossesses à répétition. Ils sont nombreux à toujours vouloir la coucher, pour saisir « leur chance ».
Bouloune est une ancienne mécanicienne. Les rumeurs culturelles font croire qu’à défaut de la tuer, on lui a enlevé son « bon ange » et fait en sorte qu’elle devienne une malade mentale.
On l’aperçoit assez souvent aux champs de Mars, en plein cœur de Port-au-Prince. Bouloune est surtout connue pour « ses grossesses à répétitions », sans qu’on ne sache l’identité du géniteur. Un habitant de la zone affirme avoir été témoin de certaines discussions entre des gens, qu’on ne soupçonnerait même pas.
En effet, des gens dont les affaires périclitent, croient qu’entretenir des rapports sexuels avec des malades mentales peuvent les aider à se relancer. Bouloune est en ce sens, la proie idéale.
« Ces actes sexuels ont souvent lieu alors qu’elle est dans un grand état d’inconscience », raconte-t-il.
“ Boulonne tombe enceinte presque chaque année, mais personne n’a jamais pu voir ces bébés car, quelqu’un s’assure toujours de les récupérer. Jusqu’ici on n’arrive pas à savoir l’identité de cette personne “, avance le sexagénaire.
“Le cas de Bouloune n’est pas nouvelle, plusieurs autres déficientes mentales se font presque tous les jours déposséder des enfants qu’elles mettent au monde “.
Soledad*, une jeune femme dans la trentaine, mère d’un garçon de 8 ans, révèle que l’une de ses proches, « Gigi », décédée en 2019, était atteinte de troubles mentales. Très élancée, d’une beauté exceptionnelle, langage raffiné… Gigi était le prototype d’une belle femme haïtienne, raconte Soledad.
« La famille avait placé beaucoup d’espoir en elle, d’ailleurs ma tante l’appelait toujours ‘kanè bank mwen’ (mon carnet bancaire). Une déception amoureuse a fini par faire craquer Gigi. Elle a appris que l’homme dont elle était éperdument amoureuse allait se marier et elle ne s’en est jamais remise ». « C’est avec beaucoup de peine qu’on voit un proche dans un tel état et se sentir impuissant à pouvoir faire quelque chose », déclare Soledad.
La jeune femme confie que la famille de sa cousine ne pouvait plus continuer à prendre en charge les soins hospitaliers du traitement de sa cousine. Cette dernière avait fini par déambuler dans les rues de Port-au-Prince.
« Voir ma cousine errer à travers les rues, c’était gênant et frustrant à la fois, ma cousine avait beaucoup de rêves…trop de beaux rêves. Des hommes, à la recherche de bonne fortune, n’avaient pas hésité à se servir de son corps pour parvenir à leur fin », martèle Soledad, larmes aux yeux.
Du « donnant-donnant »
On remarque assez souvent dans les rues de Port-au-Prince, ces femmes avec une déficience mentale, qui sont nues ou à demi-habillées, certaines d’entre elles portent des vêtements abîmés, déchirés, sales et fort souvent pieds nus.
Elles se contentent des restes qu’elles trouvent dans les rues, dans les immondices et dans des bennes à ordures pour se nourrir et s’abreuvent de l’eau des rigoles.
Ceux qui viennent vers ces dernières, estiment qu’elles n’ont aucun droit, et n’ont pas assez de lucidité pour savoir réellement ce qu’elles veulent.
Donald* est un ancien pratiquant de ce genre d’activité. Pour lui, coucher avec une malade mentale était du « donnant-donnant ».
Ayant tenté de se débarrasser de sa vie de misère, Donald était persuadé que la femme qui se trouvait sous ses mains jouissait du plaisir qu’il lui procurait.
Seul ou accompagné d’autres amis, Donald savait prendre son pied avec ces femmes, qui selon lui aimaient qu’ils viennent vers elles pour leur donner du plaisir. « Elles savaient faire du bruit pour montrer qu’elles aimaient ce qui se passait. Un soir alors que je m’apprêtais à rentrer chez moi, j’avais bu et je suis tombé sur la première femme atteinte de maladie mentale avec qui j’avais couché pour la première fois, j’ai mis la main sur elle, ce soir-là j’ai joui comme jamais auparavant », lâche fièrement Donald.
« Aujourd’hui ces actions font partie de mon passé », lâche-t-il. (Il récite un verset de la Bible, 2 Corinthiens 5 :17 pour étayer ses dires).
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Les « Loas » et les relations sexuelles avec les malades mentaux
Le vaudou n’est pas seulement une religion. Il est également un mode de vie, incluant des pratiques de guérison, la promotion de la santé, et la prévention des maladies.
Dans le vaudou, la maladie peut se rapporter au rôle des attaques magiques ou de la sorcellerie; la personne malade peut être victime d’un mauvais sort.
Pour cette raison, les problèmes de santé ou la chance (protection et faveur des loas,) sont un signe que les relations entre les adeptes du Vaudou et les esprits ne sont pas au beau fixe et qu’elles peuvent avoir besoin d’être restaurées.
Le mélange entre les mythes autour de la maladie mentale et l’insécurité font de nombreuses victimes dans les rangs de cette catégorie de personnes qui sont atteintes de cette déficience, déplorent plusieurs spécialistes haïtiens en psychologie.
Les relations sexuelles avec les malades mentaux sont un mythe que le système patriarcal a créé, de l’avis de ces spécialistes qui refusent de déresponsabiliser un individu qui associe son acte aux « loas ».
Début novembre, 11 heures du matin, le prêtre Vaudou Elièrre Isaac, mieux connu sous le nom de Samba L, est dans son « Lakou » (nom donné aux Péristyles en Haïti) baptisé “Kay Cécile”, qui se situe dans les hauteurs de Pétion-Ville. Comme d’habitude, sa journée est remplie.
Samba L est un hougan qui pratique le Vaudou depuis plus d’une quarantaine d’années dans le pays. Aussi se présente-t-il comme un pratiquant des rites ‘chanpwèl et bizango’ qui a initié beaucoup d’adeptes au Vaudou.
Selon Samba L, c’est un grand héritage laissé par ses ancêtres. Pour expliquer une solution proposée par les hougans, dans le vaudou haïtien on parle de « Bay yon pwen ».
À la question de savoir « si dans le Vaudou haïtien, un « pwen » (l’action que le prêtre ou la prêtresse du vaudou recommande à ceux qui viennent les consulter afin qu’ils trouvent la solution à leur problème) peut réellement transformer la vie d’une personne au cas où elle accepte d’avoir des relations sexuelles avec une malade mentale ? Le Prêtre vaudou répond ainsi : “ Le sexe est un moment de partage puisqu’il y a une synchronisation du corps et de l’esprit. En ayant un rapport avec la personne atteinte de maladie mentale, le (la) concernée s’accapare de la « chance » du malade et se débarrasse de sa malchance “.
La personne peut tout aussi espérer prolonger sa vie, puisque la croyance haïtienne fait croire qu’un(e) malade mental (e) peut vivre très longtemps ».
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Le Sociologue Brincy Fils-Aimé explique que ce comportement n’est pas forcément lié au mythe de la chance. Il atteste que certaines personnes auraient tout simplement une attirance pour les malades mentales. Il relate l’histoire d’un grand citoyen très connu dans la commune de Saint-Marc, département de l’Artibonite, qui aimait engrosser des malades mentales pour ensuite récupérer les enfants et voyager avec eux à l’étranger.
Un comportement que le sociologue Fils-Aimé assimile à une forme de perversion sexuelle comme la pédophilie, l’exhibitionnisme, la zoophilie, le masochisme, le sadisme etc…
« Quoiqu’il en soit, s’en prendre aux malades mentales, qui constitue l’une des couches les plus fragiles, n’est qu’un acte de viol », croit le sociologue.
Selon la travailleuse sociale Rose Murdith Joseph, la violence sexuelle exercée sur des femmes à déficience mentale, rentre dans le cadre de l’intersectionnalité du genre. Ces malades sont violées parce qu’elles sont des femmes.
« Ces actes de violences se produisent certes de manière répétitive, mais il n’y a pas vraiment de données enregistrées pouvant aider à se documenter sur la question », regrette Rose-Murdith.
Viol sur les malades mentaux : que dit la législation haïtienne ?
Maguy Florestal est juge à la Cour d’Appel de Port-au-Prince et conseillère à l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens. Ces genres de cas lui sont familiers.
Elle avance que « les violences et pratiques préjudiciables perpétrées contre les femmes avec un handicap psychosocial doivent être sévèrement punies par la loi haïtienne ».
« Le viol sur des malades mentaux est lié à certaines coutumes haïtiennes ».
“ Le viol sur des malades mentaux est un danger sociétal qui doit interpeller tout un chacun, en particulier ceux qui luttent pour le respect des droits humains en Haïti “, affirme la magistrate. Elle invite le Ministère à la Condition Féminine et aux Droit des Femmes (MCFDF) à tout mettre en œuvre afin d’arriver à gagner la confiance des femmes et leur apporter tout soutien jugé nécessaire en cas de viol ».
Droits Humains en Haïti, Sorcellerie et Maladie mentale
La santé mentale constitue pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « un état de bien-être permettant à l’individu de réaliser ses potentialités, de faire face au stress normal de la vie, d’accomplir un travail productif et fructueux, et d’apporter une contribution à la communauté dans laquelle il vit ». Le malade mental est donc, avant tout, une personne en souffrance, en manque de bien-être, qui a des lacunes ou carences sur l’un ou l’autre de ces aspects de la vie de l’humain en bonne santé mentale.
Chantale Joseph, diplômée en Psychologie en République Dominicaine, déplore le fait que les maladies mentales soient perçues comme un mythe par le conscient collectif en Haïti. Les causes de la maladie mentale étant si nombreuses, Chantale Joseph croit que c’est une absurdité de toujours l’associer à la sorcellerie. « La pauvreté, la violence, les inégalités et les privations environnementales constituent un risque pour la santé mentale. Les personnes qui vivent dans des conditions défavorables, comme les zones de guerre, connaissent davantage de problèmes de santé mentale que les autres », explique la psychologue.
« En République Dominicaine, là où je vis maintenant, le stress est tellement présent ces derniers mois en raison des mauvais traitements infligés aux haïtiens qui sont en situation irrégulière, je crains que beaucoup d’haïtiens finissent par devenir dépressifs et développent d’autres troubles mentaux graves », lâche Chantale Joseph pour démontrer que les troubles mentaux ne sont pas toujours forcément liés aux croyances mystiques.
«La maladie mentale en Haïti, est vue comme étant l’œuvre du diable, les gens préfèrent souvent tenter une guérison mystique au lieu de confier le malade à un professionnel de santé mentale. Une attitude que je sanctionne au plus haut point car j’estime qu’elle contribue à augmenter le nombre de personnes atteintes de cette maladie dans les rues d’Haïti», conclut-elle. De plus, l’on insiste sur la guérison/ perception de la maladie mentale et non sur le sujet principal.
Jo-Ann Garnier est militante des droits humains en particulier ceux des personnes handicapées. Elle coordonne en Haïti la structure dénommée « ENPAK », une organisation non-gouvernementale à but non lucratif, qui travaille entre autres pour l’inclusion des personnes à besoins spéciaux.
Pour Jo-Ann Garnier, la maladie mentale est perçue par la majorité des haïtiens comme un mauvais sort, et cela, d’après elle, est dû à un très grave problème d’éducation. « Les malades mentaux en Haïti ne sont pas seulement exposés au viol, ils font partie de la catégorie la plus marginalisée », reconnait Jo-AnnGarnier. Elle revient, avec consternation, sur le drame survenu le vendredi 26 août 2022, dans la ville du Cap-Haïtien, dans le département du Nord du pays, à la bibliothèque Gédéon.
Emile Gédéon alias ‘Boyer’ souffrait de troubles mentaux. Afin de l’empêcher d’errer dans les rues, sa famille avait pris pour habitude de l’enfermer tous les soirs dans la librairie. Le 26 août dans la soirée, un incendie s’est déclaré et a brûlé vif ce dernier, qui se trouvait à l’intérieur.
Le pays fait face à un manque criant de professionnels de santé mentale. Les chiffres disponibles parlent d’environ une trentaine de médecins psychiatres pour une population évaluée à 12 millions de personnes et la majorité de ces professionnels évoluent dans la capitale, Port-au-Prince. Les infirmières ayant une spécialisation en santé mentale sont également peu nombreuses.
Il existe deux centres publics de services spécialisés pour tout le pays. L’Hôpital Défilé de Beudet, dans la commune de Croix-des-Bouquets, situé à 12 km au nord-est de Port-au-Prince, d’une capacité d’hospitalisation de 120 malades, et le centre psychiatrique et psychologique « Centre Mars et Kline » qui se trouve au cœur de la capitale, et qui peut hospitaliser une centaine de malades.
Yanique Jean-Louis est infirmière diplômée en Haïti. Durant ses études, elle a pu effectuer de nombreux stages de formation dans plusieurs hôpitaux de la capitale, dont des centres psychiatriques.
« J’ai effectué un mois de stage dans l’un des centres psychiatriques publics du pays, cela m’a permis de faire de grandes découvertes sur le mode de fonctionnement de ces entreprises publiques dont les services laissent à désirer, en raison de l’insalubrité qui y règne. L’espace est grouillant et le traitement infligé aux patients par le personnel est une vraie insulte au respect des droits humains », confie Yanique.
L’infirmière de 5 ans d’expériences confie que certaines patientes savaient se faire violer par des gardiens du centre qui étaient censés leur apporter du soutien.
« On nous avait confié à chacune des stagiaires, une des patientes du centre pour la prise en charge. La mienne, Dorothy, me racontait toujours comment les gardiens aimaient venir vers elle pour des rapports sexuels, fort souvent, non protégé», affirme-t-elle. « A ma dernière semaine de stage, j’ai appris que Dorothy était enceinte », se désole Yanique.
Widsa Mérisier PAYEN
Photos & Vidéos :
Semilien LOUISIUS
Note : Soledad* et Donald* sont des noms d’emprunt.
Documents consultés :
OMS/OPS. (2010). Culture et santé mentale en Haïti : une revue de littérature. Genève: OMS.